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  • Photo du rédacteursoizigart

Traversée de la Chartreuse



Mi- Juillet 2019.


La sécheresse bat son plein, la canicule s'est imposée et la France se dessèche sûrement et rapidement.

La traversée de la Chartreuse, alors traversée réputée facile et sans risque, devient un peu moins sûre: connue pour l'abondance de ses sources autrefois, ce ne sont dorénavant que de minces filets d'eau qui parcourent ses paysages, quand on en trouve. Dans le sac, on avait pris les rations: 4 kilos d'eau pour moi, 7 pour mon compagnon de route. On les utiliserait toutes.

Et c'est sous des températures déjà bien élevées qu'on a pris la route, au sommet de la Bastille à Grenoble; on a mis nos sacs sur le dos, énorme et disproportionné (surtout chez moi, effet d'optique avec ma petite taille) et on s'est engagé dans la route ombragée pour notre première traversée en autonomie.

Elle allait durer trois jours et demi.


 

JOUR 1 et 2: Souffle, chaleur et rêve éveillé.





On est arrivé absolument exténué au lieu du premier bivouac après pas loin de dix heures de marche, trouée dans la forêt au milieu des épines et des fourmis carnivores, on parle peu, l'épuisement est total. On monte la tente en semi-somnolence, le corps fourbu. On a vu Grenoble s'éloigner sous nos pas, petite fourmilière aux angles droits et moches qui déforme la vallée, comme n'importe quelle vallée, en fait. On s'est rapproché des cimes, là où la lune se fait plus grosse, où l'air devient meilleur, les paysages plus ouverts. Forêts et montagne, le premier jour est passé avec la sensation de trois enclumes sur la tête et dans le dos. Mais on a validé. On s'est couché sous le couvert des arbres et la nuit fut bien courte.









Le deuxième jour, c'est le plongeon complet dans la traversée: on reste sur les hauteurs, on est en plein dans la montagne, la nature est tout autour de nous, avec son florilège de fleurs, ses vols de choucas, ses coléoptères, carabes dorées, sa panoplie végétale et animale qui ondule sous nos pas, à défaut d'onduler sous un vent assez inexistant. La ville semble loin, le vacarme humain et celui de nos vies trépidantes et inintéressantes aussi. Ici le bruit c'est notre respiration hachée à chaque pas, le souffle que l'on cherche, le roulement des chaussures sur les cailloux des sentiers qui ne semblent pas chercher à descendre. Ce jour là, on monte. Je crois qu'on ne fait que ça.







Notre second bivouac fut le plus beau, le bivouac parfait et magique: absolument seuls dans la Chartreuse, aucun autre être humain à part nous deux, les montagnes tout autour de nous, le soleil qui enflamme tout l'horizon avant de s'éteindre doucement dans les lueurs bleues de la nuit prochaine. Le dîner préparé sur le réchaud face au coucher du soleil, les petites tranches de saucisson coupées à même la pierre. C'est frugal mais c'est parfait. Cela valait bien la peine de se fatiguer un peu.

Nous sommes sur le territoire des bouquetins, et il y en a un qui nous le fait savoir ; je n'arrête pas de m'excuser auprès de lui, on a pris sa place mais on ne pouvait planter la tente nulle part ailleurs, pardon, pardon, demain, promis, aux premières lueurs on sera parti.

On a eu d'autre choix que de planter la tente dans une pente, alors toute la nuit je ne fais que glisser, mes affaires avec moi. Le bivouac, c'est chouette. Après les fourmis carnivores qui m'ont grignoté les pieds, je fais le cirque en pleine nuit à trouver les positions les plus extravagantes pour éviter de faire la luge et me retrouver tout en bas.


 

JOUR 3 et 4: Emerveillement, fatigue extrême, clap de fin.




Rien de mieux que de commencer la journée (de très bonne heure) avec ce panorama. Il est 5 heures trente quand on s'extrait de la tente, et six heures et quart quand nous entamons la brusque et soudaine montée au col, qui va nous emmener de l'autre côté, dans les alpages. Je ne compte plus les fois où j'ai dit "Ho c'est beau!" "mais c'est magnifique!" en moins d'une heure. Ce dut être beaucoup.



L'arrivée sur la crête est une merveille: tout autour de nous, la nature chante et vit, bouquetins, marmottes, choucas en pagaille se disputent les pentes et le ciel, tandis que l'aube recule peu à peu derrière les sommets, arrosant le jour nouveau de ses premières lumières. Nous sommes en équilibre entre deux mondes ; celui d'hier avec notre lieu de bivouac encore visible et toutes ces montagnes qu'on laisse derrière nous, et celui d'aujourd'hui, neuf et plein de surprises, qui s'étend, fourmillant de vie, dans sa lumière dorée. Nous sommes des funambules en sac à dos qui arpentons la colonne vertébrale de la Chartreuse.

Je me sens vivante, épanouie. A ce stade là, j'ai réalisé un rêve.

Tant mieux. La suite, pour moi, sera un peu plus délicate!






La colonisation des végétaux sur un caillou est une réalité qui me rend vraiment dingue ; je me demande toujours comment les arbres font pour pousser là dessus. Je les trouve incroyable.



La traversée des alpages, sur le plat, bizarrement, me fatigue beaucoup plus que la montée (parce que alors j'ai toute mon énergie pour me rendre compte du poids de mon sac sur mes épaules) et la trèèèèèès longue descente dans la vallée, où on trouvera un camping pour la nuit, aura presque eu raison de moi. Après m'être retrouvée les épaules en feu et le dos décomposé, sans parler des chevilles et genoux qui ont bien douillé, je déclare forfait dans le canapé moelleux de l'accueil du camping.

Et c'est comme ça que le lendemain, on a remis nos sacs sur le dos et qu'on a repris la route pour les derniers kilomètres.

Quand je déclare forfait, en fait, je continue.

Voilà tout.




Il est pas loin de 10h45, après trois heures quarante-cinq environ de marche, lorsque j'arrive à ce point précis de la photographie. Derrière moi, Chambéry. Devant moi: notre traversée. Ca y est; j'ai terminé. Fin de la Chartreuse.

Je suis contente et fière. Je pose mon sac et je profite pleinement.













Oui parce que pour moi profiter pleinement, c'est photographier les fleurs et ses butineurs. Comme l'a souligné mon ami, arrivé après moi, en me retrouvant à genoux dans les hautes herbes, à se demander ce que je fichais alors que j'étais entourée de montagnes de toute part et d'un superbe panorama.

Bah quoi, c'est beau les fleurs, t'as quelque chose contre?

(et puis elles font parties du paysage de la montagne, non?)


Après nous êtres congratulés et restés encore un peu à contempler notre petit périple, on redescend, direction Chambéry. On nous prend en stop en route, et vers 16h, nous revoilà à Grenoble.

Clap de fin.

 

- CLAP DE FIN-



Les traversées, ce sont des moments en dehors du temps et du monde ; on vit autrement, à un rythme plus lent (mais bizarrement plus soutenu aussi) à l'écoute de notre corps, puisqu'il est notre seul moteur, le vecteur majeur de la réussite de cette entreprise. Il est nécessaire de le chouchouter, de l'écouter, de prendre son temps avec lui. On ne peut pas le tromper.

Le temps se dilate; beaucoup plus de choses se passent autour de nous quand on prend le temps de regarder, contempler, observer, sans courir dans tous les sens.

Les traversées nous permettent de découvrir un territoire plus en profondeur, de manière plus intime et de découvrir toute sa panoplie de richesses.


Au cours de ces quatre jours dans le massif de la Chartreuse, nous avons traversé forêts, montagnes, alpages, aucun jour ne ressemblait à un autre, aucune heure ne ressemblait à la suivante. La nature même des montagnes étaient différentes d'un jour à l'autre.

La difficulté majeure pour moi de cette traversée aura été la chaleur; et la tristesse pour moi de découvrir les sols de Chartreuse complètement lézardés par la sécheresse.


Voyager de cette manière nous invite à prendre réellement en compte l'impact du réchauffement climatique sur nos paysages ; ça nous aide aussi à en voir toute sa fragile richesse et sa beauté.

Le choc du retour a été rude ; difficile de se retrouver à nouveau au milieu de toute cette cacophonie ambiante caractéristique de nos villes, de la moiteur de Grenoble et de sa pollution, après l'air ( à peu près) pur des crêtes. Ces jours là pour moi furent des jours de silence et de retraite ; la nature est un beau silence.




Alors, vous, quelle traversée allez vous faire?

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